Soirée cinéma du film Push
sur la crise du logement
Étape 2 du banquet des résistants et amoureux du Mile End
Lundi 18 novembre 19h-22h
Rialto, 5719 av. Du Parc, Montréal
Compte-rendu
Le Comité des citoyens du Mile End et les organisateurs du banquet du 14 septembre dernier ont réussi à attirer environ 80 citoyens et citoyennes dont plusieurs jeunes, à leur soirée cinéma du 18 novembre au Théâtre Rialto.
Le film documentaire « PUSH » de Fredrick Gertten traite principalement de la crise du logement dans plusieurs villes du monde entier. Les prix des logements montent en flèche dans ces villes et les revenus des habitants ne suffisent plus, mettant en péril « le droit » au logement convenable pour tous. On tente de comprendre qui est chassé des villes et surtout pourquoi. Push met en lumière un nouveau type de propriétaire sans visage, les villes de plus en plus invivables et la crise croissante qui nous affecte tous. « Le logement est devenu une marchandise au même titre que l’Or ». Le film suit Leilani Farha, journaliste reporter spéciale de l’ONU sur le logement qui d’ailleurs est à l’origine de la Déclaration des grandes villes du monde pour le logement abordable, à laquelle Montréal a adhéré.
Mais où se situe Montréal dans tout cela, plus précisément le Mile End?
Les objectifs de cette rencontre étaient donc de mieux comprendre ce phénomène dans notre quartier, ses impacts et de discuter de solutions possibles qui permettraient à tous de trouver ou de garder leur place dans le Mile End.
La soirée s’est poursuivie par les présentations des trois spécialistes qui nous ont partagé leurs réflexions et quelques pistes de solutions. Il s’en est suivi une période de questions. Voici un court résumé:
M. Mario Polèse
Professeur émérite en Économie urbaine et régionale à l’Institut national de recherche scientifique (INRS), membre fondateur de l’Association des économistes québécois et auteur de plusieurs livres dont « The Wealth and Poverty of Cities »
Selon M. Polèse, Push est « un beau film, un beau cri du cœur pas très utile ». Bref, extrêmement décevant à ses yeux. Il n’y a pas de solutions qui tiennent la route dans ce film. On ne fait même pas de différence entre les différentes villes et les différents pays. Prenons par exemple les villes de Toronto et Londres. Deux réalités complètement différentes. On ne peut pas faire de lien.
Face au principe que le logement est un droit humain, il se limite à dire que c’est bien beau tout cela mais ça n’aura pas grand impact sur la crise du logement.
D’ailleurs selon M. Polèse, le règlement 20/20/20 (soit d’inclure 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux à tout nouveau projet de 50 logements et plus) de la ville de Montréal dans sa mouture actuelle, risque de rendre le marché du logement montréalais moins sinon pas plus abordable, sans pour autant régler le problème du sous-financement public du logement social. Mais le changement majeur de ce nouveau règlement se trouve dans sa complexité d’application. Comme solution, il considère que le financement des logements sociaux nécessite plus d’investissements publics.
Quant au rôle de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans les investissements immobiliers tel que décrit dans la présentation de Mme. Banville, on aura beau les questionner, il n’en demeure pas moins que le premier mandat de leur président est de faire fructifier l’épargne des québécois et l’immobilier est un placement incontournable dans la présente période.
Mme Marie-Sophie Banville
Titulaire d’une maîtrise en urbanisme de l’Université de Montréal, elle possède une expérience en organisation communautaire et en développement de partenariats stratégiques. Elle travaille actuellement chez « Dark Matter Laboratories » à Montréal et chez Vivacité, une OSBL qui promeut une nouvelle façon d’accéder à la propriété.
Mme. Banville considère que ce film explique bien la dynamique mondiale qui s’est installée au niveau du logement dans les grandes villes et que les spéculateurs ne sont pas uniquement des asiatiques. Ils sont parfois beaucoup plus près de nous.
Par exemple en 2006 à Manhattan dans East Village, un grand complexe résidentiel privé de 11,250 logements destinés à des gens à revenus faibles et modéré sa été mis en vente. Il faut se rappeler que la ville de New York avait accepté de concéder ses terrains au promoteur du temps (1942-43) car il y avait une pénurie importante de logements sociaux. Un groupe de locataires et d’investisseurs avait alors fait une offre à 4,6 milliards mais le complexe fut vendu à un gros promoteur immobilier pour 5,4 milliards.
En 2015, la propriété a été vendue à Blackstone et Ivanhoé Cambridge, la filiale immobilière des fonds de pension de la Caisse de dépôt et de placement du Québec. En vertu d’un accord avec la ville, Blackstone a accepté de maintenir environ 5 000 unités en dessous des loyers du marché jusqu’en 2035 (3,200$/mois pour un deux chambres) et 500 unités pour les familles à faibles revenus (1,500$/mois pour un deux chambres). Aujourd’hui on compte environ 45 % des résidents du complexe qui paient encore les loyers réglementés, comparativement à 71 % en 2006 et il faut s’attendre que la conversion progressive du nombre d’unités réglementées ira en augmentant.
Plus près de chez nous, la FTQ a investi dans Griffintown.
Face à cela, il faut se mobiliser et poser des questions, ouvrir le dialogue avec ces institutions qui ne sont pas des firmes privées. On s’attend d’eux à des investissements équitables. Il faut faire pression sur eux afin de les sensibiliser aux impacts de leurs investissements dans l’immobilier. De plus le règlement 20/20/20 est une solution qu’il faut préserver.
Elle a aussi présenté diverses initiatives permettant à la collectivité de capter une partie des hausses de valeurs des immeubles. Par exemple, par nos taxes et impôts, nous avons payé beaucoup pour les infrastructures de la Place des Festivals. Le projet Maestria coin Bleury/Ste-Catherine va profiter de cela mais ces profits devraient retourner en partie à la collectivité et non pas seulement au privé. Ces sommes pourraient servir à soulager locataires, petits propriétaires et petits commerçants.
Suite à des questions de la salle, elle a précisé que les municipalités doivent devenir un acteur foncier plus important et se doter d’une stratégie foncière. Par exemple, il faut sortir les terrains publics du marché. Il faut arrêter de les vendre au privé en prétextant que ça valorise l’actif. La ville doit être un joueur actif. Au lieu de vendre, elle pourrait devenir un développeur immobilier. Selon elle, la crise du logement est tout aussi importante que la crise climatique.
M. Éric Michaud
Coordonnateur du Comité logement Ville-Marie depuis 2001. Il coordonne la table de concertation Habiter Ville-Marie, qui soutient et fait la promotion du développement du logement social dans l’arrondissement.
M. Michaud a quant à lui, beaucoup aimé le film. La documentation des cas de Toronto, Londres, Séoul, Barcelone et Berlin illustre bien les enjeux auxquels nous sommes confrontés et le caractère mondialisé de la problématique. Ça permet de mettre la table pour Montréal et de discuter de pistes d’actions mises de l’avant par les grandes villes dans la « déclaration des grandes villes du monde pour le logement abordable ». Pour lui, c’est représentatif des grandes villes canadiennes.
Voici quelques exemples:
En 2014, la ville de Montréal a confié à une firme de recherche un sondage visant à déterminer qui étaient les acheteurs de condos à Montréal. Et bien 43% des acheteurs ne vivaient pas à Montréal et n’avaient pas l’intention d’y vivre et ceux-ci visaient des profits à court et moyen terme. Une belle démonstration que Montréal a aussi un marché spéculatif. D’ailleurs le nombre d’acheteurs étrangers a augmenté rapidement à Montréal les dernières années.
En 2015, Vancouver était la deuxième ville la plus chère au monde pour ce qui est du marché immobilier.
En 2016, l’hôpital pour enfants a été vendu à des promoteurs immobiliers. Ces derniers souhaitaient bâtir cinq tours à condos de luxe mais selon le zonage municipal, le terrain ne pouvait pas accueillir de résidences. Pour faire accepter leur projet, les promoteurs Devimco et High-Rise Montréal (HRM) ont promis des mesures comme un centre communautaire et des logements sociaux. La construction d’une école primaire avait aussi été évoquée. Finalement Devimco annonce en 2018 qu’il n’y aura pas d’école dans ses constructions. En 2019, on apprend qu’il y a peu de chance que la tour destinée aux logements sociaux voit le jour.
Airbnb est aussi très présent dans les quartiers populaires de Montréal et ça crée des conflits d’usage: bruit, déchets et ces propriétaires n’assument pas leurs responsabilités.
Contrairement à M. Polèse, il croit que le règlement 20/20/20 est un pas en avant pour contrer la crise du logement. Non seulement c’est une bonne stratégie mais il souhaite lui aussi que les gouvernements prennent leurs responsabilités en investissent davantage dans les logements sociaux. Par exemple, le gouvernement du Québec pourrait investir ses surplus dans l’acquisition de terrains et la construction de logements sociaux. Il doit aussi arrêter de vendre ses terrains à des investisseurs privés et les réserver entre autres pour la construction de logements sociaux et abordables.
Comme autres pistes de solutions, il préconise:
- que Montréal emboîte le pas de Vancouver et Toronto face aux investisseurs étrangers en leur imposant une taxe sur les transactions effectuées;
- d’imposer une taxe à la spéculation entre autres pour les achats et reventes rapides (flip);
- des moduler les taxes pour les coopératives, OSBL d’habitation et les petits propriétaires;
- de contrôler et de réduire les locations touristiques (ex: Airbnb);
- de réviser des lois et règlements de la Régie du logement;
- d’informer, éduquer et sensibiliser les locataires expulsés dans le but qu’ils se défendent davantage en faisant respecter les lois;
- de changer la définition de la ville pour le « logement abordable ». Pour un 5 1/2, on parle de 2000$/mois et de 450,000$ pour l’achat d’un logement;
- de préserver le parc locatif;
- qu’il y ait pour les promoteurs immobiliers, des obligations en regard des logements sociaux comme c’est le cas pour les parcs.
Donc en résumé, bien que le temps de discussion fut trop court à cause de la complexité du sujet abordé et de la longueur du film, plusieurs causes ont été ciblées et des pistes de solutions ont été proposées. Il aurait été intéressant de pousser plus loin la discussion en regard des actions plus concrètes de la part des citoyens telles que: consulter son comité logement, s’opposer à l’expulsion, refuser des montants forfaitaires pour partir, effectuer un suivi auprès de la Régie du logement, parler et écrire à son député provincial et fédéral, prendre la parole au conseil d’arrondissement ou au conseil municipal, comprendre puis contester son évaluation foncière.
Donc dans un même ordre d’idée, le comité de citoyens du Mile End s’est donné comme mandat d’organiser une rencontre d’information concernant les droits des locataires lors de reprises de possession par les propriétaires. Cette rencontre est prévue en janvier 2020.
En dernier lieu, un rappel a été fait par Pierre Pagé de Montréal pour tous, invitant les participants à signer la « Déclaration des amoureux·ses du Mile End » contre la spéculation et pour la protection de la vie de Quartier.
Compte-rendu préparé par Carole Plante
En date du 10 décembre 2019.
Un avis sur « Soirée sur la Crise du Logement »